Le professeur Emmanuel Hirsch vient de publier un nouvel ouvrage sur la fin de vie: Mort par sédation. Une nouvelle éthique du " bien mourir"?. Ed, Erès, 2016.
Il reste encore quelques places pour sa conférence sur "Le soin, une valeur de la république", 18 novembre à 18 heures 30 aux Quinconces des Jacobins. Inscription obligatoire: cercle.montesquieu.lemans@gmail.com
Article du Figarovox/Tribune lors de la parution de ce dernier ouvrage
FIGAROVOX/TRIBUNE – A l’ occasion de la Journée
mondiale des soins palliatifs, des professionnels et des membres d'associations
lancent l'initiative « Repenser ensemble les soins palliatifs ». Le professeur
Emmanuel Hirsch en décrypte les enjeux.
Dans l'intimité du soin, en institution ou au
domicile, des professionnels et des membres d'associations défendent avec
humilité, au nom de valeurs démocratiques, une conception de la dignité
humaine. Cette démarche rend possible un cheminement jusqu'aux confins de la
mort, là où l'humanité d'une sollicitude est plus attendue que la rigidité de
postures dogmatiques.
Les pionniers du mouvement français des soins
palliatifs ont su inventer la position juste entre des extrêmes.
Dans les années 1980, les pionniers du mouvement
français des soins palliatifs ont su inventer la position juste entre des
extrêmes: l'abandon, l'obstination déraisonnable ou alors la pose, souvent
subreptice, du «cocktail lithique», euphémisme pour dissimuler le recours à
euthanasie. Aujourd'hui, la pratique légalisée d'une «assistance médicalisée
pour terminer sa vie dans la dignité» substitue au «cocktail lithique» la
sédation profonde et continue. Trente années plus tard, le bilan du
développement chaotique des soins palliatifs en France apparaît contrasté pour
ne pas dire péjoratif, plus précaire que jamais au regard d'une vision de la
mort anticipée et librement choisie, selon des protocoles ayant pour fin
d'abréger les souffrances et d'abolir le temps ultime de la séparation.
La Commission de réflexion sur la fin de vie dresse un
tableau critique des mentalités, des carences et des dysfonctionnements qui
limitent aujourd'hui l'accès à ces soins.
Dans son rapport de décembre 2012, la Commission de
réflexion sur la fin de vie en France dresse un tableau critique des
mentalités, des carences et des dysfonctionnements qui limitent aujourd'hui
l'accès à ces soins. Respecter la personne malade, la reconnaître dans ses
droits c'est pourtant lui permettre de bénéficier en société, auprès de ses
proches et dans un environnement bienveillant, de la continuité d'un parcours
de soin personnalisé, concerté, pertinent et adapté. Il n'aura jamais été
autant discuté du droit des personnes malades en fin de vie alors que le
contexte organisationnel du système de santé précarise les conditions mêmes
d'exercice d'un soin considéré au mieux avec compassion.
Les soins palliatifs nous éclairent sur les enjeux
d'une médecine appelée à plus de discernement, de retenue et d'humilité.
Les soins palliatifs nous éclairent sur les enjeux
d'une médecine appelée à plus de discernement, de retenue et d'humilité. Ils
incitent à se focaliser moins sur la mort à venir que sur les conditions de la
vie, fût-elle ténue et fragile, qui la précède encore. Ils se situent à
contre-courant des mentalités davantage éprises de scores, de performances et
d'efficience que soucieuses d'attention témoignée aux vulnérabilités humaines
face à la souffrance et à la finitude.
Les fondateurs des soins palliatifs ont su, hier,
penser, renouveler et diffuser une éthique des pratiques soignantes
privilégiant une «approche globale de la personne», respectueuse de son
autonomie et attentive à ses préférences. Ils ont permis l'émergence d'une
conception de l'accompagnement dans le contexte d'une société sécularisée, au
moment où la mort s'est médicalisée, intervenant dans près de 70 % des
circonstances au sein d'une institution.
La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en
faveur des malades et des personnes en fin de vie confronte les acteurs du
mouvement des soins palliatifs à de nouveaux défis.
La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en
faveur des malades et des personnes en fin de vie confronte les acteurs du mouvement
des soins palliatifs à de nouveaux défis, dès lors qu'il leur faut repenser le
fondement de leurs missions au regard des dispositions légales qui bouleversent
les pratiques. Entre directives anticipées opposables et mise en œuvre de la
sédation profonde et continue, qu'en est-il d'un projet de soin ayant pour
visée de créer les conditions d'un cheminement porteur de sens jusqu'au terme
de l'existence? Lorsque la proposition de loi a été discutée en 2015, les
responsables de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs
(SFAP) ont estimé préférable de cautionner le processus législatif plutôt que
de dénoncer ses conséquences pernicieuses possibles, au motif qu'un compromis
même équivoque éviterait, cette fois encore, la légalisation de l'euthanasie.
Nombre de membres de la SFAP ne se sont toutefois pas reconnus dans cette
concession préjudiciable aux valeurs qu'ils s'efforçaient de défendre dans un
contexte souvent hostile. Ils redoutaient les ambivalences d'un texte de loi
ambigu, approximatif et insatisfaisant, au point de créer des situations
conflictuelles au sein des équipes et de susciter des demandes de «sédation
terminale» qui disqualifieraient le sens même de leurs missions.
Les unités de soins palliatifs deviendront à court terme
des unités de soins sédatifs !
Cette démarche novatrice, pluraliste, sensible à
l'esprit du soin, apparaît aujourd'hui fragilisée tant par les médecins qui
n'en saisissent plus la signification et la pertinence, que par les partisans
de l'assistance médicalisée pour «une mort dans la dignité et la liberté»,
impatients d'une loi qui autorisera enfin, de manière explicite, l'euthanasie.
Les unités de soins palliatifs deviendront à court terme des unités de soins
sédatifs!
Pour que demain chacun puisse exercer le libre-choix
entre soins palliatifs et euthanasie, encore est-il nécessaire que l'on puisse
dépasser les affrontements idéologiques désormais vains.
Il ne convient plus aujourd'hui de s'opposer aux
dispositions d'une loi voulue par le président de la République et notre
représentation nationale. Pour que demain chacun puisse exercer le libre-choix
proposé entre soins palliatifs et euthanasie, encore est-il nécessaire que l'on
puisse dépasser les affrontements idéologiques désormais vains. Les soins palliatifs
apparaissent cependant pauvres d'un discours audible dans le débat public, au
regard de l'argumentation mieux élaborée et plus immédiate du «droit de mourir
dans la dignité». Rares sont les personnalités publiques et les intellectuels
associés à leur démarche, ce qui est significatif d'un enclavement regrettable.
Ils ne sont pas encore parvenus à transmettre un message public suffisamment
clair qui permette de véritablement comprendre la signification de pratiques
qui suscitent dès lors les controverses. Du reste, elles apparaissent parfois
discutables dans des positionnements dogmatiques affirmées de manière
péremptoire. Il s'avère donc urgent de prendre en compte le constat d'un cumul
d'insuffisances, d'approximations et d'incompréhensions, voire d'une carence
dans la définition d'une stratégie explicite et cohérente, à la hauteur
d'enjeux qui sembleraient justifier une refondation des soins palliatifs.
Nombre de professionnels et de membres d'associations
engagés dans la démarche palliative en référence aux valeurs fortes de la vie
démocratiques, aspirent à repenser l'exercice d'un soin voué à l'intérêt et aux
droits des personnes malades et en fin de vie. Ils estiment nécessaire
d'organiser une concertation attendue, ouverte à la diversité des points de
vue, qui puisse porter un projet digne des missions qu'ils assument au
quotidien. La pérennité du mouvement des soins palliatifs et plus encore sa
légitimité tiennent selon eux à cette exigence de réflexion partagée, de
renouveau pour ne pas dire de réinvention. Certains d'entre eux ont ainsi
souhaité lancer l'initiative «Repenser ensemble les soins palliatifs» dans le
cadre de l'Espace éthique de la région Île-de-France, à l'occasion de la
Journée mondiale 2016 des soins palliatifs.